❧ A tresdocte, tresprudente damoyselle madamoyselle de Lousserie M. Dodier medecin desire longue vie en santé
Entre toutes les responces que feit jadis Apollo à Delphes (ma tresdocte Damoyselle) une me semble fort singuliere et approchante de la prudence humaine, sçavoir est : "Cognois toy toymesme", laquelle sentence toutesfois si rigoureusement est interpretée, je ne sçay comme celuy là se pensera bien cognoistre, qui tousjours empesché en la contemplation des espritz, ne se propose quelque raison de la nature corporelle. Car l’esprit sans l’ayde du corps n’avoir aucune force, la folie des Phrenetiques assez le demonstre. Non que je vueille dire que soyons tant sollicitez de ce corps, que l’esprit en soit negligé ainsi que nous lisons de Lacydes Roy des Grecz, qui oultre mesure estoit studieux de son corps, et de Neron, lequel ne meit jamais deux fois un mesme vestement. Semblablement de Poppea, femme dudit Neron, laquelle (si nous croyons à Suetone et Pline) portoit tous ses accoustrements doublez de drap d’or, et à fin que j’en laisse autres infinis cultiveurs affectionnez de leurs corps. Lisons nous pas de Pompée lequel grattoit du petit doigt sa teste de paour de troubler sa perrucque ? Lysicrates aussi desja caducque et vieil desseichoit ses cheveulx et testonnoit pour estre veu jeune et beau, ce que tous ne faisoient, tant par necessité, que par ostentation. Mais cognoistre soymesme, sauf meilleur jugement, est : "En corps sain avoir sain entendement", comme disoit Horace, laquelle chose se sont tousjours procuré les philosophes anciens Pythagoras, Empedocles, Praxagoras, Chrysippus, Plato, lesquelz aussi en extreme vieillesse sont mors glorieusement. Aristote estoit Valetudinaire et subject à une infirmité naturelle d’estomach, toutesfois par la cognoissance de medecine qu’il avoit contre l’opinion de tous vesquit soixante et trois ans. Ce considerant, madamoyselle, et voyant qu’avez parfaictement d’une part mis en praticque ladicte sentence, j’ay prins la hardiesse de vous presenter ce petit livre portant pour tiltre : Briefve instruction pour vivre longuement en santé, lequel ces jours passez apres avoir visité mes malades ay extraict de Diocles escripvant au roy Antigonus, à fin que eussiez de quoy vous defendre promptement contre l’intemperature de l’ær, et mauvaises influences du ciel. Car vous sçavez que l’esprit empesché par l’indisposition du corps (qui est son domicille) ne peut bonnement faire office, comme recite Plato en plusieurs. Non que je vueille dire le corps avoir puissance sus cest esprit. Mais je dy ledit esprit estre empesché par ledit corps mal disposé et assailly de maladie. Je vous laisse donc à penser comme il s’esjouit trouvant son domicille nect, non assailly d’infirmité, non plain de immunidicité. Ce que je diray sans adulation estre complet en vous. Car outre ce que vous tenez nectement suyvant vostre estat sans superfluité vostre maison est si bien policée, regie et gouvernée, que le rigoureux Caton n’y trouveroit que redire. Je laisse les sept artz liberaulx, en la pluspart desquelz estes fort bien apprise et instruicte, esquelz avez de bonne coustume recreer vostre divin esprit fatigé et lassé des affaires fœminines et domesticques. Reste donc, ma damoyselle, qu’ayez ce Donnegarde et precaution de cheoir en maladie. Ce que vous promet ce present Livre, lequel voluntiers eusse faict latin bien adverty qu’estes en icelle langue, non vulgairement, instruicte. Mais cognoissant que n’estes point chiche de vostre bien, et que n’estes pas née seulement pour vous, j’ay bien voulu le bastir en langue vulgaire, à fin que les autres moins doctes y peussent participer. J’y ay adjouxté un petit traicté fort necessaire et utile aux femmes. Que si j’entends ce mien labeur vous estre aggreable, je m’estimeray comblé de mes plus grands désirs.
Fin de l’Epistre